Lorsque l’on regarde aujourd’hui l’histoire des Group C, et notamment si l’on se fie aux résultats bruts avec les classements du Championnat du Monde, c’est bien entendu la mainmise de Porsche sur la catégorie endurance tout au long des années 80 qui est frappante. Pourtant, alors que les Group C étaient encore « jeunes », l’espoir de voir d’autres marques faire chuter la référence allemande avec ses 956 existait. Et c’est Lancia qui tenait ce rôle de poil à gratter. D’abord avec ses LC1 en 1982, puis avec les LC2 à partir de 1983.
La Lancia LC1, une Groupe 6 « bricolée »
Lancia avait dominé les éditions 1980 et 1981 du Championnat du monde des constructeurs avec la Lancia Beta Montecarlo Turbo, engagée dans la catégorie des voitures silhouettes (Groupe 5). Toujours sous la direction de Cesare Fiorio, Lancia Corse avait l’intention de poursuivre le développement de son moteur turbocompressé en 1982, mais la nouvelle réglementation n’attribuant des points pour le titre constructeur qu’aux nouvelles Groupe C et B, la Beta Montecarlo devenait de fait inéligible. Ne disposant pas d’un moteur de prototype sportif compétitif pour le Groupe C, Lancia se lançait dans une campagne 1982 sans grand espoir. Pour ce faire, l’écurie comptait profiter du règlement sportif de la FIA qui, dans le but de compléter le plateau de la saison inaugurale des Groupe C (1982 donc), autorisait à nouveau les prototypes construits selon l’ancien règlement du Groupe 6 (entre autres). A condition que leur cylindrée soit inférieure à 2,0 litres.
Autour du moteur de 1 425 cm³ (équivalent à 2 litres grâce au facteur 1,4) de la Montecarlo Group 5 (mais tourné de 90° pour un montage longitudinal), une barchetta sportive conçue et réalisée par Dallara voyait le jour : la Lancia LC1. Dotée d’un châssis tubulaire monocoque conventionnel, elle était extrêmement légère, pesée à seulement 640 kg (25 % de moins que ses concurrentes du Groupe C). Combinée à une puissance d’environ 450 ch, cette légèreté lui confèrait un excellent rapport poids/puissance. Un hold-up était en vue.
Les jupes latérales généreuses contribuaient à un effet de sol puissant au freinage et dans les virages. Les voitures n’étaient pas soumises aux restrictions de consommation des Group C, un avantage clé utilisé notamment à Silverstone, où la Porsche 956 débutante – malgré ses 700 ch – était freinée par une consommation excessive. La LC1 châssis 001001 s’imposait avec Alboreto et Patrese. Pour une campagne lancée par dépit, le résultat était déjà probant.
La boîte de vitesses était une Hewland TG 300 dérivée de la Formule 1. La suspension avant était à double triangulation, avec un bras supérieur simple et des bras inférieurs doubles, des amortisseurs à ressorts externes et une barre antiroulis. À l’arrière, on trouvait des triangles déformables, mais avec des bras inférieurs plus larges et des amortisseurs externes, comme à l’avant ; une barre antiroulis était également présente.
Après 3 ans de collaboration avec Lancia, Pirelli fournissait des pneus spécifiques à la voiture, tant pour la course que pour les qualifications. La carrosserie présentait une longue queue couvrant les roues arrière, tandis que deux versions du nez étaient disponibles : une concave pour une plus grande charge aérodynamique, adaptée aux circuits sinueux et aux roues arrière, et une convexe pour les circuits rapides. Une configuration spéciale Le Mans (troisième variante mais unique donc) allait ensuite aussi être développée. La carrosserie très profilée à l’aérodynamique développée dans la soufflerie de Fiat Research est aujourd’hui encore sublime à observer, si aérienne.
Comme la Beta Montecarlo, la LC1 arborait les couleurs de Martini Racing, associées à la marque de cigarettes MS. Le programme d’endurance était un programme annexe pour Lancia, dont l’activité sportive principale était alors focalisée sur le rallye. « Le programme LC1 était un programme très rentable, en partie parce que nous utilisions le moteur de la Monte Carlo car nous n’avions pas de moteur approprié pour le Groupe C » raconte Cesare Fiorio, patron de la compétition chez Lancia à l’époque dans les colonnes de Motorsport Magazine. Un programme certes efficace mais sous-financé, qui posait déjà la fragilité de ce que l’on allait ensuite retrouver avec les LC2.
La victoire de Silverstone début 1982 fut une victoire esseulée ? Non ! Le 30 mai la LC1 châssis 001002 confiée à Michele Alboreto et Teo Fabi battait les Porsche à domicile sur le Nürburgring alors que la première des Porsche, une 924 IMSA, ne se classa que cinquième. Il faut cependant noter que la marque allemande avait renoncé à toute participation officielle et s’en était remise à des pilotes privés car elle avait concentré ses efforts sur la préparation des 24 Heures du Mans !
Le match tourna en faveur de Porsche à nouveau à Spa-Francorchamps où les 956 de Jackie Ickx/Jochen Mass et de Derek Bell/Vern Schuppan devancèrent la LC1 (châssis 001003) de Riccardo Patrese/Teo Fabi, tandis que la 001004 de Piercarlo Ghinzani/Michele Alboreto s’arrêta à cause d’une stupide panne de l’indicateur de niveau de carburant. Après une victoire au Mugello pour Lancia, et la manche de Fuji pour Porsche, tout restait ouvert. Un duel épique entre la Porsche de Jacky Ickx/Derek Bell et la Lancia de Riccardo Patrese/Teo Fabi eu lieu à Brands Hatch. La course se déroula en 2 parties à cause d’un drapeau rouge. Les conditions météorologiques changeantes compliquèrent les stratégies des équipes. La durée de l’épreuve fut raccourcie en raison de l’obscurité imminente, ajoutant à la complexité tactique. Dans le sprint final, Ickx rattrapa son retard sur Fabi, pilotant à la limite. Fabi franchit la ligne d’arrivée en premier, 1,7 secondes devant Ickx. Cependant, en cumulant les temps des deux parties de course, Porsche l’emporta… pour 4,7 secondes. Cette victoire in extremis donna le titre à Porsche et Ickx de façon inattendue.
Les châssis Lancia LC1
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Photos Aquarama
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Photos Girardo
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Photo Brian Snelson
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Lancia LC2, la plus rapide des premières Group C !
Après le travail mené sur la LC1, Lancia bascule dans la cour des grands avec une authentique Group C au dessin séduisant, et à la décoration Martini emblématique. La première LC2 prenait la piste un mois après sa présentation (dévoilée au Museo Martini à Pessione, près de Turin, en février 83) c’est-à-dire seulement un mois avant ses débuts en course. Impossible à imaginer aujourd’hui.
Dès les 1000 km de Monza 1983, la première sortie officielle des LC2 donc, Piercarlo Ghinzani signe la pole position. La « Lancia-Ferrari » comme elle était officieusement nommée en référence à l’origine du V8 développé en version bi-turbo par Lancia (pris sur la 308 GTBi QV), semblait être la réponse italienne aux allemandes déjà assoiffées de victoires. Mais il n’en fut rien. C’est un fait, la LC1 a remporté autant de courses en une saison que la LC2 sur toute sa carrière… Le début en trompe l’œil de Monza lors des qualifications (et les 12 autres pole position qu’allaient décrocher les LC2) masquaient des problèmes plus profonds de fiabilité. Performantes sur une boucle, rapides et fines, les LC2 allaient multiplier les abandons au cours de leur carrière. Le tout premier, à Monza, était le fait de l’éclatement d’un pneumatique. Ce dernier s’est détaché de la jante dans la ligne droite. Pirelli, partenaire de Lancia en rallye et appelé presque logiquement pour cette aventure en Groupe C, était remercié. Dès Silverstone, on chaussait sur les LC2 des pneus à carcasse diagonale Dunlop alors que la voiture était conçue pour des pneus radiaux. Mais ce changement était obligatoire, Pirelli ayant probablement sous-estimé à l’époque le travail nécessaire et notamment la prise en compte du fort appui généré par un prototype. La LC2 n’était plus la « barquette » si légère qu’était la LC1.
Après une sérié d’abandons – problèmes avec la spécification de carburant, problème de différentiel, de boîte de vitesses, de pression de carburant et de turbocompresseur – 3 LC2 ont terminé les 1000 lm de Spa en septembre. L’équipe d’usine a décroché une quatrième place lors de la manche du Championnat d’Europe d’Endurance à Brands Hatch également en septembre.
En 1984, la LC2 évolue avec une nouvelle géométrie de suspension, un nouveau carter de boîte de vitesses conçu en interne, des modifications aérodynamiques et, à partir du Mans, un moteur de 3 litres. Riccardo Patrese et Mauro Baldi ont finalement remporté une victoire en championnat du monde pour la LC2 à Kyalami en novembre 1984, sans Porsche d’usine présentes et avec seulement une poignée de voitures privées. En 1985, la décision de Lancia de se concentrer sur son programme de rallye signifiait qu’il n’y avait pas de budget pour un programme complet. « La LC2 était un plus gros investissement que la LC1, mais le budget que nous avions comparé à ce que certaines personnes imaginaient était très différent » raconte Cesare Fiorio. Lancia, bien petit face à l’ogre Porsche.
Cesare Fiorio admet que le constructeur n’a jamais vraiment eu une chance de battre Porsche. « Nous n’avions pas les ressources pour rivaliser avec eux. Il étaient impliqués en endurance bien avant 1982 et utilisaient un moteur qui n’était pas nouveau. Nous, nous partions d’une feuille blanche ». Ghinzani, Patrese, Alboreto, Nannini, de Cesaris, Fabi ou encore Baldi on tous pris le volant des LC2 en course. Un vrai pont avec la F1 était dressé ! Mais jamais Lancia n’allait atteindre les moyens financiers similaires à la F1 ou comparables aux autres marques… la LC2 portait pourtant un vrai contre-pouvoir !
Sources : Motorsport Magazine avril 2009
Les châssis Lancia LC2
LC2 #0001
Photos Girardo & Co
LC2 #0002
Photos Sotheby’s
LC2 #0005
Vendue par RM Sotheby’s (juin 2023, 24 Heures du Mans) pour 2 255 000 €.
Photos Tom Wood ©2022 Courtesy of RM Sotheby’s
LC2 #0009
Vendue par RM Sotheby’s (Duemila Ruote, Fiera Milano, novembre 2016) pour 851 200 €.
Photos Tom Wood ©2016 Courtesy of RM Sotheby’s